Un vieux convive...

Profitant d'un moment de répit dans la préparation de la nouvelle campagne électorale ducale, Berthier donna quelques directives aux compagnons et apprentis de sa forge et appresta son fidèle canasson pour prendre la route du Domaine de Kastell Brient. La cordiale invitation de Dame Raxadana de Chasteaubriant l'avait agréablement surpris, et il mit un point d'honneur à ne point faire attendre son hoste. La Bourgoisie naissante des Royaumes aussi avait ses codes de conduite...

Quittant Roazhon à faible allure (sa monture se faisait vraiment très vieille désormais), il mit quelques heures à rallier le fort de Kastell Brient. Cela lui permit de méditer longuement sur la missive reçue de bonne heure ce matin-là...
"Jarkov". Ce nom résonnait d'un lointain passé dans l'esprit du vieux Champenois. Que de souvenirs, heureux à cette époque. Il se remémora notamment l'épisode du fratricide duel entre le Bouillant Breton et Caedes, le père de Champagne. Duel pour une Dame, la sulfureuse et non moins controversée Tsarine, qui vit le Breton perdre une main, tout comme celle de sa mie...

Bientost, le Chasteau se profila à l'horizon. Berthier mit sa monture au trot et parvint tantost devant la herse de la grande porte principale. Il mit pied à terre devant les yeux suspicieux des gardes et leur lança :

Veuillez annoncer prestement Messire Berthier à vostre Dame, mes braves ! Vostre Baronne m'a mandé icelieu. Voici sa missive et son cachet.

Il déroula alors le vélin devant les hommes et attendit leur réaction...

La Baronne fut informée de l'arrivée du Sieur Berthier, dont les interventions publiques étaient chaque fois pleines de bon sens, et surtout dotées d'une analyse solide bien que toute personnelle...
Elle fit le déplacement en personne jusqu'à la salle de garde pour accueillir son hôte..Depuis son retour du Béarn, la bretonne vivait sans protocole, ce qui lui facilitait grandement la vie, et mettait ses interlocuteurs plus en confiance...

-Demat deoc'h, Aotrou Berthier! Je suis ravie que ma missive n'ait pas atterri au feu...

Elle fit un signe à l'un des écuyers pour qu'il emmène la monture de Berthier et en prenne soin...

-Suivez-moi à la bibliothèque, nous pourrons y parler tranquillement...

Puis, en entrant dans la Grande Cour du Château:

-Avez-vous fait bon voyage? Vous connaissiez déjà les lieux, peut-être? J'ai cru comprendre que vous aviez connu feu Le Bouillant...

Le vieux s'inclina légèrement en présence de la Baronne et la suivit silencieusement tandis qu'ils traversaient la grande cour.

En effet, j'ai faict bon voyage, je vous remercie. Je ne connaissais point les lieux pour tout vous dire, mais la route me fut facilement indiquée.

Il marqua une pause puis reprit, sur le ton de la confidence...

Je dois vous avouer que je n'ai point eu la chance de vraiment connaistre vostre ancestre en personne.
Mais alors que je n'étais qu'un jeune homme plein de vie, faisant mes débuts en Champagne, j'ai eu l'honneur d'en apprendre sur Messire Jarkov. Il fallait estre sourd et aveugle pour ne point avoir d'échos sur cet homme haut en couleur. Et sa vie l'amena à croiser le destin de moult Nobles champenois, tels que Caedes, Messire Tsarine et leur Cour.
J'ai notamment toujours en souvenir le terrible duel public qui l'opposa à son vieil ami Caedes... Quel panache ces deux-là ! Je crois que je m'en souviendrais jusqu'à ma mort...

Vous comprenez ainsi certainement pourquoi c'est un réel honneur pour moi d'arpenter ces lieux.

Rox hochait la tête tandis qu'ils parcouraient les couloirs du Château, écoutant attentivement son visiteur...

-A vrai dire, Jarkov n'est pas tout à fait mon ancêtre...C'est son, euh..Héritier, Myrlin, qui m'a fait don de la Baronnie, il y a fort longtemps de cela, maintenant...Je ne l'ai connu que très peu de temps avant sa mort, et pour l'essentiel à travers ses écrits juridiques...Pourtant, c'est vrai qu'il est comme un père, pour moi...Un Pater Familias, pour être exacte!

C'est en riant de sa propre plaisanterie, douteuse et hermétique comme peut l'être l'humour d'un juriste, qu'elle entra dans la bibliothèque, suivie de son hôte...